Rencontre d'une culture avec un idéal pédagogique.
La pédagogie Waldorf au Québec.
Chers parents, chers collègues Waldorf, chers amis de la pédagogie Waldorf, il me fait plaisir de vous adresser la parole en ce matin du premier congrès de l’APWQ depuis sa fondation en 1977. J’aimerais en profiter pour saluer des participants de presque toutes les régions Waldorf, jardins d’enfants et initiatives du Québec. Nous avons des amis de l’école Imagine dans les Laurentides, des participants, parents et enseignants de l’école l’Eau Vive à Victoriaville, nous avons aussi des collègues de l’École Rudolf Steiner de Montréal, des collègues de Québec et du jardin d’enfants de St-Nicolas, des amis du jardin d’enfants Cassiopée à Lac Mégantic et enfin des collègues du centre de la petite Enfance l’Oiseau d’or à Lennoxville et bien sûr des parents et collègues de l’École des Enfants-de-la-terre à Waterville. J’en profite pour remercier la Corporation de l’école de nous prêter ses locaux pour cette rencontre.
C’est sous le thème de la rencontre que se déroule la journée d’aujourd’hui. Rencontre d’amis, de collègues, de parents. Ce sont à travers les rencontres humaines que la pédagogie Waldorf se construit au Québec; à travers les échanges et surtout à travers l’enthousiasme qui nous habite. L’enthousiasme de participer à un mouvement qui travaille pour l’avenir de la jeunesse et de l’éducation.
La rencontre d’aujourd’hui a été initiée par notre association. Elle prend place à travers votre intérêt pour l’association et c’est beau de sentir toute l’énergie qui est présente aujourd’hui dans cette salle qui pourrait être un peu plus grande. C’est grâce aux cotisations qui ont été versées que nous pouvons offrir gratuitement ce congrès. Merci à tous nos membres.
Ce premier congrès de l’APWQ voudrait contribuer à la solidarité, à la communication, au partage et à l’entraide entre toutes les écoles, institutions et initiatives, Waldorf au Québec. Dans l’invitation que vous avez reçue, Rita D’Amboise, notre vice-présidente nous a proposé la formule suivante : Congrès pour l’unification des forces Waldorf au Québec. Comme plusieurs d’entre nous, Rita voit dans l’unification des forces une sorte de nécessité historique.
Je souhaite ainsi dans cette conférence d’ouverture amener des idées, partager des réflexions dans le but de nous permettre de mieux nous situer en tant que mouvement pédagogique au Québec.
Quand j’ai choisi le thème de cette conférence, j’ai tenté de reconstituer en imagination une rencontre qui a eu lieu, il y a plusieurs années et qui se renouvelle chaque jour : La rencontre d’une culture avec un idéal pédagogique. Puis, je me suis imaginé une rencontre dans le futur, une rencontre qui n’a pas encore eu lieu et voilà ce que cela donnait :
Imaginez-vous une école située pas trop loin de chez vous. Vous conduisez votre enfant à l’école lorsqu’il est en âge préscolaire. Il a peut-être 4 ou 5 ans. Puis c’est parti. Vous venez de trouver une école unique dispensant l’enseignement de la première année jusqu’à la fin du collégial. Votre enfant suivra un plan scolaire que vous avez choisi pour lui parmi un large éventail de possibilités. Vous avez trouvé un groupe d’enseignants dynamiques. Vous aurez l’occasion de vous investir pendant 12 à 15 ans dans la communauté formée autour de l’école. Votre enfant aura ses premiers examens à un moment de sa biographie où il aura atteint une certaine solidité intérieure. Il aura 16 ans, 17 ans ou même 18 ans. Votre enfant sera musicien, poète, peintre et sculpteur. Cette école permettra à votre enfant, à votre adolescent de se lier à un groupe d’élèves qui l’accompagneront tout le long de sa scolarité, et peut-être de sa vie comme une deuxième famille… Nous sommes en 2030, et cette école existe parce qu’un groupe de parents et d’enseignants y ont rêvé ensemble en 2016 lors d’un congrès.
Un peu d’histoire
Mais avant de me perdre dans le futur, je reviens à cette rencontre qui a déjà pris place. Dans tous les pays où la pédagogie Waldorf s’incarne, il y a une rencontre entre une culture et un idéal pédagogique, une rencontre entre l’idéal et la réalité. Pour ceux qui ont pu observer les premiers pas du mouvement Waldorf au Québec, se dresse une image riche et colorée, c’est l’image d'une culture qui cherche à se définir, à s’émanciper et qui, rencontrant la pédagogie Waldorf s’éveille à l’inconnu et puise dans ses propres ressources ce qui la rapproche de ce courant pédagogique.
L'association pour la pédagogie Waldorf au Québec, l’APWQ a été fondée en 1977. Sa première tâche fut de travailler à la création d'un jardin d'enfants sous le nom de la : « maternelle l'eau vive » à Montréal. Pendant deux ans, l'association travaillait à l'ouverture de l'école Rudolf Steiner de Montréal qui fut fondée en 1980, et à l'époque, il y a eu un engouement pour cette nouvelle approche pédagogique. L'école organisait des conférences et ateliers et réunissait parfois près d'une centaine de personnes. Des conférenciers venaient de l'extérieur : il y a eu Francis Edmunds un anglais, qui avait lui-même fondé le collège Emerson en Angleterre, il y avait aussi René Quérido un conférencier trilingue, riche d’une expérience Waldorf de plusieurs décennies. C'est aussi dans les années 1980 que Robert Thomas fit ses premières apparitions au Québec. Il y avait un intérêt, un besoin de connaître une nouvelle approche de la pédagogie. Les gens de toutes les régions du Québec se retrouvaient à Montréal pour saluer l'initiative. C'est en 1983 que j'ai eu l'occasion de me retrouver pour un stage universitaire au cœur même de la première école Waldorf au Québec. À l'époque, il n'y avait pas de formation Waldorf au Québec et tous ceux qui désiraient se qualifier pour ce type d'enseignement devaient se rendre en Angleterre ou aux États-Unis. Aujourd’hui, les choses ont changé.
Si dans les années 70 et 80, la pédagogie Waldorf trouva un écho à l'intérieur de la société québécoise, c'est parce que quelque chose avait été préparé. Il y a eu bien sûr la fondation de la société anthroposophique plusieurs années avant la fondation de l'école, il y a eu la fondation du mouvement de la communauté des chrétiens inspirée par Rudolf Steiner et qui fêtera bientôt 63 ans d'existence à Montréal. Il y a eu aussi, il faut alors remonter dans les années 50, la création d'un premier jardin d'enfants privé sous la direction de madame Simons et un peu plus tard, à la fin des années 70, le jardin d'enfants « L’eau vive » fut fondé sous la direction d’Huguette Chaurette, dont la fille Francine Laterreur est encore active dans la gestion de l'école de Montréal.
Mais il y a eu certainement, plusieurs années auparavant, un mouvement social, un mouvement empreint d'une nouvelle spiritualité qui a donné les bases, qui a préparé comme un réceptacle la venue d'idées nouvelles, l'arrivée d'un mouvement pédagogique qui considérait pour la première fois au Québec l'enseignement comme étant un art et qui introduisit dans sa grille-matière, dès les premières années, l'enseignement de l'eurythmie, des travaux manuels, de la musique, de la peinture aquarelle, de l'anglais, de l'allemand, du chant, de la musique, de la poésie, du travail du bois et qui introduit aussi un tout nouveau concept dans le paysage éducatif québécois. Il s’agit de la leçon principale consacrée à une seule matière et se poursuivant sur plusieurs semaines afin de concentrer les apprentissages et de les rendre plus si efficace.
Il doit y avoir une pensée qui a pris forme à l’intérieur de notre culture afin de préparer l’éclosion de la pédagogie Waldorf.
Pour Rudolf Steiner, il était clair que la pédagogie Waldorf avait été historiquement préparée par la pensée idéaliste et plus particulièrement à travers les œuvres de Friedrich Schiller : L’Éducation esthétique de l’homme et de Lessing : L’éducation du genre humain.
C'est donc dans les années 60-70 que la naissance de la première école Waldorf au Québec s'est préparée, et c'est en 1980 qu’ouvrait officiellement l'école Rudolf Steiner de Montréal. Les efforts qui ont été mis en place pour réaliser l'idéal pédagogique Waldorf nécessitaient à l'intérieur de la société québécoise une ouverture et une tolérance, cela impliquait aussi qu'un petit groupe de Québécois mettait tout en place pour réaliser un plan scolaire qui n'était pas québécois 100 % pure laine, un plan scolaire qui faisait appel à l'être humain universel.
Je me suis souvent demandé s'il avait été possible de fonder plus tôt une école Waldorf au Québec. Au cours des années, j'ai gagné la conviction que ce petit événement historique devait être préparé. Quand on observe l'évolution de la littérature, l'évolution de la culture, l'évolution des idées, on se rend compte que la pensée nationaliste qui a certainement eu ses raisons d'être devait s'émanciper afin de préparer le sol sur lequel la pédagogie Waldorf pourrait prendre racine.
Le nationalisme devient universalisme
À l'époque où j'ai fait ma formation en pédagogie Waldorf en Allemagne, j’ai eu la chance de me pencher, lors de la rédaction de mon mémoire, sur l'évolution de la littérature et de la pensée au Québec. J'étais rempli d'enthousiasme quand j'ai constaté, que déjà dans les années 1930 ; c'est-à-dire quelques années après le décès de Rudolf Steiner, des poètes québécois écrivaient une poésie nouvelle, moderne et universelle.
Dernièrement, j’ai décidé de poursuivre mes recherches afin de tenter de trouver un parallèle entre la fondation de la première école Waldorf en Allemagne et le développement de la pensée au Québec. J’ai trouvé des choses intéressantes. Ainsi, peu avant la fondation en 1919 de l’école de Stuttgart, un groupe d’intellectuels montréalais sortait la revue NIGOG.
Je vous lis un extrait que j’ai trouvé à ce propos dans l’encyclopédie canadienne.
« Si au début du XXe siècle, on préfère envisager le problème de la littérature nationale sous l'angle de l'option régionaliste contre l'option universaliste, (…) en 1918, un périodique, le NIGOG (1918) opte pour un certain universalisme et affirme la nécessité de se mettre à l'heure du monde et de la littérature contemporaine. »
La voie commença à être préparée pour un Québec humaniste ouvert sur le monde.
Quelques années plus tard, en 1935, on a l’impression que la littérature québécoise devient une littérature contemporaine. Elle s'attache à éclairer l'énigme de notre époque, elle décrit l'homme dans sa solitude, dans sa modernité. L'homme à la fois séduit et enthousiaste, mais également craintif et parfois désespéré face au monde et face à sa réalité quotidienne. À partir de 1935, la conception existentielle de la poésie remplace tranquillement la conception romantique. À partir de ce moment, "la poésie n'est plus une question d'atmosphère, de décor, d'état d'âme, elle est une question d'espace, de temps, de langage". Le rôle de la poésie se transforme, elle se trouve désormais à l'avant-garde de la recherche intellectuelle.
Deux écrivains en particulier ont marqué cette nouvelle ère de la poésie québécoise, qui à cette époque abandonne les vers rythmés pour les vers libres. Il s'agit de Saint-Denys Garneau (1912-1943) et d'Alain Grandbois (1900-1975) dont la riche poésie inspirera toute une génération, y trouvant les sources d'un nouveau langage libre et ouvert sur le monde. Voici quelques extraits :
Les temples sont abolis où les prières
nourrissaient les Dieux
Nos fronts doivent se satisfaire du faible
gémissement de nos doigts Alain Grandbois
Parmi tous et toutes ou seul avec soi-même
Nous lèverons nos bras dans des appels durs comme les astres
Cherchant en vain au bout de nos doigts crispés
Ce mortel instant d’une fuyante éternité
Accompagnement
Je marche à côté d'une joie
D'une joie qui n'est pas à moi
D’une joie à moi que je ne puis pas prendre
Je marche à côté de moi en joie
Saint-Denys Garneau
Ces deux extraits nous parlent d'une réalité humaine dont l'homme a pris nouvellement conscience. Dans ce court extrait, Alain Grandbois décrit ce problème de l'homme moderne coupé de cette relation toute naturelle qu'il avait autrefois avec la divinité. Aujourd'hui c'est par la lutte, c'est à travers le travail sur soi que cette relation peut être à nouveau établie. Mais nous ne sommes qu'au début de ce travail et nous devons nous contenter "du faible gémissement de nos doigts". Saint-Denys Garneau pour sa part fait allusion à cette partie de nous qu'est notre moi supérieur. C'est lui la joie qui marche à côté de moi, une joie qui m’encourage, mais que je ne puis pas prendre. Elle appartient au futur et tant que je ne la développe pas, nous ne pouvons pas la prendre, nous ne pouvons pas vivre en union avec elle.
Les cercles intellectuels, les poètes du Québec brassent les idées, d’après Baudelaire, les poètes ont des ailles de géants qui les empêchent de voler, il fallut que des penseurs prennent la relève et en 1948 avec le Refus Global, un autre pas important est fait afin de préparer le sol sur lequel la pédagogie Waldorf allait pouvoir s’enraciner.
Dénonciation du passé et reconnaissance de l’individualité
En 1948, dans son écrit intitulé les projections libérantes, Paul-Émile Borduas dresse un tableau du système d’éducation québécois :
« À la fin de ces projections libérantes, si je tente d’aller au fond du problème de notre enseignement, de son inefficacité à susciter des maîtres en tous domaines, j'y vois la même déficience morale qui entache tout le comportement social. Notre enseignement est sans amour: il est intéressé à fabriquer des esclaves pour les détenteurs des pouvoirs économiques; intéressé à rendre ces esclaves efficaces. Nous dépensons beaucoup d'énergie et des millions dans ce but, mais nous ne pouvons trouver présentement ni personne ni un sou pour exalter les dons individuels qui seuls permettent la maîtrise.
Bien plus, si vous prêchez le désintéressement, la générosité, l'amour, vous serez jugés dangereux, l'on vous destituera «pour conduite et écrits incompatibles avec la fonction d'un professeur dans une institution d'enseignement de la province de Québec» dira le document final! «Vous salirez ce que la majorité respecte» écrira le profasciste politico-critique littéraire! »
Borduas dans les projections libérantes (Parti pris 1977, page 88)
Écoutons Rudolf Steiner nous parler des fondements de l’organisme social:
« L’école à tous les échelons dispense donc un enseignement répondant aux objectifs de la raison d’État. On parle beaucoup de culture générale et de valeurs objectives à atteindre; mais l’intégration inconsciente à l’ordre étatique empêche l’homme moderne de s’apercevoir que cette culture générale équivaut en fait à la formation de serviteurs utiles à l’État. » (…)
« Faire œuvre d’éducateur ce n’est pas s’intéresser aux capacités et connaissances requises par l’ordre existant, c’est au contraire reconnaître et développer les dispositions présentes dans chaque être humain. Alors l’ordre social pourra s’enrichir des impulsions nouvelles qu’apportent les générations montantes. »
Les fondements de l’organisme social, Rudolf Steiner (8/1919)
Dans son écrit, Paul Émile Borduas nous parle d'un enseignement sans amour, au service des pouvoirs économiques. La plus grande lacune de ce système est de ne pas exalter les dons individuels qui seuls permettent la maîtrise, j'ajouterai ici, de notre réalité humaine. Il considère que l'enseignement doit être fait dans le désintéressement, la générosité et l'amour. Il parle même au tout début de ce passage d'une déficience morale qui entache le comportement social.
Cette dénonciation, ou plutôt cette critique de notre système éducatif a donné les bases à une recherche du désintéressement, de la générosité, de l'amour, à une ouverture afin de développer une pédagogie qui pourrait être en mesure d’exalter les dons individuels. Si l'on regarde avec soin les idéaux qui se retrouvent derrière la pédagogie Waldorf, on pourrait tenter de la définir en utilisant le vocabulaire de Borduas. « La pédagogie Waldorf en est une qui considère que l’enseignant dans l’exercice de son travail doit faire preuve de désintéressement, de générosité et d’amour envers ses élèves et étudiants, et que sa tâche consiste à éveiller ce qui sommeille en l’être humain, à éveiller ou encore à exalter les dons individuels. » Exalter parce que dans la deuxième septaine l’enfant apprend à travers l’émerveillement.
Dans toutes les conférences pédagogiques que Rudolf Steiner a données de 1919 à 1924, on retrouve de nombreux passages qui font allusion à la nécessité de développer les dons individuels. Steiner nous parle d’un enseignement artistique, du rôle de l’art sur le développement des dons individuels, parce que l’art forme la volonté, et Borduas était un artiste.
« Pourquoi l’élément artistique agit-il sur la formation de la volonté? Parce que l'exercice d’un art repose sur la répétition; pour la raison aussi que l’élément dont l’homme s’empare ainsi lui procure une joie toujours nouvelle. L’art procure un plaisir toujours renouvelé, pas seulement la première fois. Il a en lui le pouvoir de stimuler l’être humain, et non pas une seule fois, mais toujours et toujours encore. Ainsi l'art est-il à nos yeux l’idéal même de ce que nous cherchons à réaliser dans notre enseignement. »
Le rapport Parent : un effort pour changer les choses (pluralisme)
Les pensées qui ont été semées en 1948 ont produit des fruits qui un peu plus tard amenèrent une réforme de l’éducation. À partir de 1960, nous parlons au Québec de la Révolution tranquille. Celui qui consulte le rapport Parent en y recherchant des éléments qui ont pu conduire à favoriser un peu mieux les dons individuels y trouve des détails intéressants. J'ai retenu un passage qui apparut dans la revue reflet dossiers en 2013. Yves Lenoir, professeur titulaire à la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke nous partage sa vision :
« Le rapport Parent atteste de son ancrage dans les réalités d’une époque qui succédait à celle d’un conflit mondial qui avait changé la réalité comme les mentalités, et qui voyait la société québécoise confrontée (…) à des attentes sociales pour un pluralisme culturel. »
«Le rapport Parent a conduit à une démocratisation sans précédent de l’enseignement sous toutes ses dimensions : démocratisation politique; démocratisation financière; démocratisation de la scolarisation en assurant l’accessibilité à l’éducation scolaire pour tous. Le rapport a également conduit à une démocratisation des pratiques pédagogiques : la fonction de l’enseignant ne pouvait plus se réduire à une simple transmission d’un stock de connaissances; il devait dorénavant devenir un intervenant qui donne sens aux savoirs à acquérir. Il a aussi mené à une ouverture sur le plan culturel en prônant une adaptation aux réalités sociales, sur les plans de la diversité culturelle qui prenait de l’ampleur, sur le plan de la réforme des curriculums d’enseignement au nom d’un « humanisme renouvelé », à caractère scientifique. »
La pédagogie Waldorf peut être facilement reliée à un humanisme renouvelé, mais le problème est resté : l’éducation n’est pas une science, elle est un art.
Le terrain se prépare, le sol québécois est alimenté par des penseurs et des poètes, la réforme a pris place, on fonde des polyvalentes, on brasse des idées et on continue de réfléchir. Mais il n’y a toujours pas d’école Waldorf. Les poètes et surtout les chansonniers viennent de plus en plus se mêler indirectement au débat culturel. Ainsi, dans les années 1970, des poètes chanteurs livrent des messages empreints d’un humanisme touchant. Ils viennent éveiller les fibres les plus profondes de la spiritualité québécoise.
Rencontre avec un peuple d’artistes
Dans l’œuvre de Gaston Miron, L’homme rapaillé. Paru en 1970, nous pouvons lire :
Nous te ferons, Terre de Québec
lit des résurrections
et des mille fulgurances de nos métamorphoses
(L’octobre)
L’air est au changement. On peut aussi penser à une des chansons les plus chantées au Québec : C’est le 24 juin 1975 que fut chanté pour la première fois cet hymne à l’amour humain.
Gens du pays
Le temps que l'on prend pour se dire: je t'aime
C'est le seul qui reste au bout de nos jours
Les vœux que l'on fait, les fleurs que l'on sème
Chacun les récolte en soi-même
Au beau jardin du temps qui court …. ( Gens du pays c'est votre tour)
Le ruisseau des jours aujourd'hui s'arrête
Et forme un étang où chacun peut voir
Comme en un miroir l'amour qu'il reflète
Pour ces cœurs à qui je souhaite
Le temps de vivre leurs espoirs
À la même époque, on entendait aussi :
« Pour un instant, j'ai respiré très fort
ça m'a permis de visiter mon corps
Des inconnus vivent en roi chez moi
Moi qui avais accepté leurs lois
J'ai perdu mon temps... »
La jeunesse québécoise, j’en faisais partie à l’époque, écoute avec engouement la musique de nos chansonniers et entend ces messages qui les conduisent dans leur monde intérieur, qui les amène à une réflexion sur des valeurs profondément humaines. Vigneault parle de l'importance de l'amour. Il nous livre un texte d’une sagesse incroyable. L’amour que l’on a donné, que l’on a semé, c’est lui seul qui intéresse le maître du destin au moment de la mort et qui forme notre destin.
Écoutons Steiner : L ’AMOUR est pour le monde ce que le soleil est pour la vie extérieure. Les âmes ne pourraient plus s’épanouir s’il n’y avait plus d’amour dans le monde. L’amour est le soleil moral de l’univers. (Steiner)
De son côté, le groupe Harmonium conduit, comme l'avait fait Saint Denis Garneau, a observé ce qui se passe au-dedans de nous-mêmes. Il conduit à l’observation de cet inconnu qui vit parfois en noir au fond de nous et dont on accepte aussi les lois.
« Ahriman désire ardemment résider dans le corps éthérique, car c’est là, où réside la mémoire, qu’il trouve son nid de développement le plus adéquat. À côté de ces êtres, il y a des esprits de la nature, les êtres élémentaires qui entrent dans l’homme à travers sa nourriture. »
La reconnaissance de ce double intérieur, « de ces inconnus qui vivent en noir chez moi » me permet de me développer et d’accéder à la liberté, à une éducation vers la liberté… On a mis quelqu’un au monde…
Serge Fiori du groupe Harmonium ressent une lueur de cette spiritualité et il sera considéré comme une sorte de gourou. Une chanson très connue du groupe – Un musicien parmi tant d’autres - revendiquait d’une certaine manière l’importance de l’individu pour la collectivité; « Où est allé tout ce monde qui avait quelque chose à raconter. On a mis quelqu'un au monde, on devrait peut-être l'écouter. » Il faut s’imaginer des salles de spectacles remplies de gens et d’enthousiasme ou toute la foule affirme en chanson cette nécessité de reconnaitre l’individu.
On ressent dans les textes de ses chansons un appel à s'ouvrir à l'être humain universel et à ses besoins profonds d'amour et d'introspection. On peut trouver une grande quantité de chansons qui ont dû nécessairement influencer les mentalités. Une année avant la fondation de l'école des Enfants-de-la-Terre, c’est-à-dire en 1988, le chanteur Gerry Boulet compose une chanson dont le texte nous rappelle l'histoire du petit prince de Saint-Exupéry.
Aujourd'hui je vois la vie
Avec les yeux du cœur
J' suis plus sensible à l'invisible
À tout ce qu'il y a à l'intérieur
Les poètes et chansonniers sont les porteurs d’une culture nouvelle.
Le rythme de fondation
Se fondant sur une spiritualité naissante à l’intérieur de notre culture, un courant pédagogique nouveau a pris racine, la rencontre de la culture québécoise avec la pédagogie Waldorf a donc commencé à la fin des années 1960. Une ouverture sociale a permis à un groupe de parents et d’enseignants de conjuguer leurs efforts afin de donner naissance à un idéal pédagogique empli de futurs. La fondation de l'école de Montréal a été aidée par l'arrivée au Québec à cette époque d’Irène François, par l’engagement de Blondine Maurice, d’Huguette Chaurette et de bien d’autres personnes. Nous avons donc, en 1980, une première fondation s'inspirant du modèle Waldorf français, le Québec s’ouvre sur le monde. C'est aussi à Montréal, quelques années plus tard, que commença la première formation des maîtres, ce qui donna des bases à la pédagogie Waldorf pour s'enraciner tranquillement un peu mieux dans la culture québécoise.
Autour de l’année 1989, l’Estrie se réveilla à la pédagogie Waldorf. Autour de ces années commença l’histoire du Jardin d’enfants « L’oiseau d’or » à Lennoxville. À travers le Centre de la petite Enfance « L’oiseau d’or », le ministère de la Famille inclut la pédagogie Waldorf aux nombres des approches éducatives approuvées par le ministère.
En 1989, une initiative différente prenait place. Une deuxième école Waldorf était fondée, cette fois-ci sur une ferme. On tentait de combiner les idéaux issus de l'agriculture bio dynamique avec ceux issus de la pédagogie anthroposophique. C'est cette initiative qui nous a conduits dans les lieux où nous nous trouvons présentement à Waterville.
Il y avait dans l'air du temps une ouverture, une recherche de cette image idéale de l'homme, de l'être humain. Délaissant le modèle privé de l'école de Montréal, l'école des Enfants de la Terre optait quelques années après sa fondation pour un partenariat avec la commission scolaire de la région de Sherbrooke. C'est à partir de ce modèle que quelques années plus tard fut fondée une troisième école à Chambly. Une école qui a dû malheureusement fermer ses portes en 2014.
Un peu après la fondation de l'école de Chambly, soit en 2002, la pédagogie Waldorf trouvait un sol fécond à Victoriaville et, s'inspirant peut-être du jardin d'enfants Waldorf de Montréal, l’école décida de porter le nom d'école : L’Eau Vive.
En 2003, pour répondre aux besoins d’une formation à temps partiel adaptée aux besoins des nombreuses étudiantes et mères de famille qui voulaient se former en pédagogie Waldorf, l’Institut Pégase fut fondé sur la rive sud de Montréal. Depuis quelques années, l’Institut Pégase donne aussi des formations à Waterville.
Dix ans plus tard, en 2013 l’école Imagine a été fondée à Val David dans les Laurentides. Nous avons ici une école privée s’insérant dans une petite municipalité bien connue pour son milieu artistique et culturel.
Le jardin d’enfants Cassiopée à Lac Mégantic (2013) et le jardin d’enfants Waldorf de Saint-Nicolas près de Québec ont aussi été fondés en ce début de millénaire.
En ce début du XXIe siècle, nos poètes, chansonniers et penseurs continuent de réfléchir. Dans un livre paru en 2015 et intitulé : Péril scolaire, un essai sur « les dix maux de l’éducation au Québec », Tania Longpré écrit : « la culture générale doit être remise sur un piédestal et, dans cette mission, rien ne peut remplacer un enseignant lui-même cultivé, spécialiste de sa matière et non seulement de la pédagogie, et versé dans l’art oratoire. L’enseignement est une relation humaine, un art de la transmission des connaissances, et non une science qui donne des fruits quand elle est assistée par ordinateur. »
La mission de l’école Waldorf
Ce que souhaite Tania Longpré, c’est ce que veut réaliser la pédagogie Waldorf. Notre pédagogie est convaincue que « L’enseignement est une relation humaine, un art de la transmission des connaissances, et non une science qui donne des fruits quand elle est assistée par ordinateur, » elle est aussi convaincue de l’importance de l’enfance et de l’adolescence dans notre monde contemporain. Un projet pédagogique Waldorf prend place lorsque des parents et\ou des enseignants reconnaissent dans l’impulsion pédagogique de Rudolf Steiner la clé conduisant à une compréhension des besoins éducatifs de l’être humain en devenir. Elle constitue une pédagogie à la fois moderne et créative qui permet de donner aux élèves une éducation à la fois artistique, pratique et cognitive.
La pédagogie Waldorf s’inscrit dans le cadre des idées modernes au niveau de la psychologie. Ce n’est pas un hasard si depuis plusieurs années les psychologues parlent de l’attachement. Nous sommes attachés, liés au monde par notre sentiment, nous apprenons en fait à travers notre cœur, et cette connaissance est à la base même de la pédagogie Waldorf qui est une pédagogie de l’attachement.
Nous sommes ainsi les représentants d’un courant pédagogique qui mériterait à être plus connu et c’est dans l’espoir que ce que nous faisons aujourd’hui servira aux enfants de nos enfants que nous pouvons puiser une source intarissable d’enthousiasme.
L’école Waldorf est plus que jamais actuelle parce qu’elle se fonde sur l’engagement de ceux qui la concrétisent, elle est abreuvée par les idéaux communs chez tous ceux qui la réalisent. Ce quelque chose qui cimente l’école Waldorf n’appartient pas au monde physique. Peter Selg l’appelle le noyau spirituel de l’école Waldorf. « L’école Waldorf a une biographie, une histoire qui raconte sa vie, et il est important de ne pas perdre de vue le but qui agit dans cette vie. »
Dans un monde matérialiste et informatisé, il n’est pas évident d’aborder de telles questions. Pourtant l’éducation repose sur des bases immatérielles, sur des bases spirituelles. L’École Waldorf est ainsi un modèle social, car l’engagement des parents et des enseignants à réaliser un projet commun pour le bien des enfants et de la jeune génération est la base sur laquelle devrait se fonder toute école.
Le droit à l’éducation est un droit fondamental, et les États modernes ont joué un rôle important dans la reconnaissance de ce besoin. Il est cependant évident que l’État n’a plus la tâche de déterminer les contenus de l’enseignement et les méthodes. On pourrait au plus lui remettre la fonction d’imposer des examens pour l’obtention des diplômes terminaux. Bien des États dans le monde ont décidé de redonner à l’école sa vraie place sociale, on peut maintenant espérer que sur la base de la confiance, le Québec favorisera également le développement de tels projets sociaux où se réalisent des idéaux et où se forment des communautés!
Mission de l’association
Pour terminer la conférence de ce matin, j’aimerais vous inviter à l’AGA de l’APWQ qui aura lieu après la plénière. J’aimerais aussi vous parler de la mission de l'association.
Lorsque nous avons redonné vie à l'association il y a quelques années, nous avons tenté de formuler de façon générale la mission et les grands objectifs de notre association.
L’APWQ a comme mission de cultiver une nouvelle impulsion culturelle dans le travail pédagogique avec les enfants, les adolescents et les adultes, basée sur une compréhension du développement sain de l’être humain sur les plans physique, moral, intellectuel et spirituel, et de s’engager à protéger et à nourrir la pédagogie Waldorf comme participant au fondement d’une culture humaine.
Les objectifs suivants constituent le cœur des actions entreprises par l’APWQ afin de permettre la réalisation de sa mission:
- Soutenir les institutions Waldorf dans l'accomplissement de leurs objectifs;
- Soutenir les individus et les initiatives qui souhaitent implanter une institution Waldorf dans leur communauté;
- Faire connaître la pédagogie Waldorf auprès du grand public;
- Défendre le principe de l'autonomie des institutions Waldorf vis-à-vis des instances gouvernementales;
Il s'agit bien sûr d'une mission très idéaliste, d'une mission qui est déjà formulée pour le futur de notre association. Si on tente par exemple d’illustrer avec plus de détails ce que cela signifie que de soutenir les institutions Waldorf dans l'accomplissement de leurs objectifs, on pourrait compléter la liste de la manière suivante :
- Organiser des activités
- Aider financièrement les futurs enseignants en formation.
- Soutenir les centres de formation en pédagogie Waldorf.
- Travailler à la publication de matériels d'enseignement. Mettre en ligne sur le site de l’APWQ du matériel pédagogique.
- Former des mentors pour le soutien pédagogique des enseignants débutants.
- Soutenir un collectif qui s'attacherait à produire un document sur la pédagogie Waldorf au Québec.
- Traduire en français le Curriculum complet et le faire approuver au ministère. Etc.
De quoi avons-nous donc besoin afin de nous maintenir et nous développer? J’aimerais retenir ici les deux domaines qui m’apparaissent les plus importants.
D’un côté, il y a quelque chose de profondément exotérique qui est essentiel à notre développement. Pour conserver les acquis actuels, les écoles Waldorf privées se doivent de cultiver des liens étroits de transparence et de collaboration avec les responsables du ministère qui se penchent sur leur dossier. Pour les écoles publiques, il est important de cultiver ce même lien de transparence et de collaboration avec les responsables des commissions scolaires. Dans ce monde des liens, le pragmatisme, la flexibilité et la persévérance sont absolument nécessaires.
C’est dans ce contexte qu’il est important de démontrer notre volonté d’éduquer des citoyens responsables, prêts à relever les défis de l’avenir.
Du côté ésotérique, nous avons la tâche de développer de l’enthousiasme et nous lier de plus en plus avec les fondements spirituels de notre pédagogie, avec son noyau spirituel. Pour cela, Rudolf Steiner nous a indiqué le chemin.
- Dans un premier temps, Il s'agit d'étudier la nature humaine.
- Dans un deuxième temps, il importe de méditer la nature humaine, de l'approfondir de manière méditative comme Steiner l’a définie dans le deuxième cycle de conférences qu'il donna à Stuttgart une année après avoir parlé en détail de la nature humaine.
- Dans un troisième temps, Rudolf Steiner nous demande en quelque sorte de pratiquer la nature humaine. De faire fructifier au niveau de la pratique pédagogique la connaissance de l'être humain que nous avons acquis.
« Dans le domaine des idées, tout dépend de l’enthousiasme. Dans le monde réel, tout repose sur la persévérance. »
Johann Wolfgang von Goethe
Merci de votre attention
François Dostie